Je rencontre régulièrement des acheteurs qui se plaignent de ne pas être suffisamment reconnus dans leurs entreprises, par leurs clients internes. « Quels ingrats ! Nous sommes pourtant à leur service, avec des méthodes professionnelles. » Qui sinon un acheteur pour garantir une approche enfin un peu plus rationnelle ? Pour objectiver des relations fournisseurs trop intuitives, voire affectives pour ne pas dire plus ?
Mettez-vous un instant à la place du client interne qui se voit ainsi soupçonné de manière à peine voilée de collusion avec ses partenaires. Pas étonnant qu’il se crispe et fuie les acheteurs.
Nous avons certes des outils, mais prétendre acheter mieux que lui est une insulte. C’est même une erreur de jeunesse classique de la fonction achats, ou encore d’acheteurs insécurisés, en mal de reconnaissance. Peut-on raisonnablement espérer surpasser notre client interne en savoir-faire, en expérience et en connaissance du marché ? Gare aux certitudes et à l’excès de confiance !
Il m’a fallu en faire la rude expérience pour ouvrir les yeux… Un jour, confronté à un cas particulièrement délicat, je fis venir notre directeur technique. Lui saurait ! Sa parole d’expert allait mettre tout le monde d’accord… Après avoir exposé les éléments, nous attendions son verdict. Quelle ne fut pas ma stupeur de l’entendre dire calmement devant le fournisseur : « Eh bien, là, je n’en ai aucune idée. »
La surprise passée, mon effarement a fait place à l’admiration : rien ne rehaussait plus la valeur de sa parole que cet humble aveu. Plus encore, cette humilité me semble être la marque même des sages, et force le respect. Il faut une vie pour être capable de dire comme le pape François « Qui suis-je pour juger ? », comme Descartes : « Il n’y a rien au monde de certain », ou comme Socrate : « Je sais que je ne sais rien ».
Lors de notre dernier workshop organisé par Procure.ch à Neuchâtel, chacun a pu mesurer que notre fonction ne nous met pas à l’abri de comportements irrationnels, et à quel point nous sommes aisément manipulables. Il y a tant à apprendre, en commençant par apprendre à se connaître !