Ces derniers temps, négocier nos achats est devenu un bien curieux exercice. Un supplice. Combien de fois a-t-il fallu se résigner à privilégier l’approvisionnement aux conditions économiques ? Les délices des tractations commerciales ont fait place au jeu abrupt et cruel du fait accompli : « C’est à prendre ou à laisser ! » Je capitule.
Sachant que nécessité fait loi, les fournisseurs ont sauté sur l’occasion. Celui-ci affiche un aplomb insolent, savoure sa toute puissance, se fait griser par l’aubaine, laisse l’euphorie aiguiser son appétit quitte à pêcher par gourmandise. Comment le blâmer ? Nous devrons bien passer sous ses fourches caudines. Quand la conjoncture nous tord le bras, bien fou celui qui tente de résister.
Pénuries et inflation
Oui, il faudrait être fou. Et pourtant… Dans ces situations asymétriques où il n’y a guère d’autre choix que de se soumettre, quelques audacieux se démarquent par des postures de négociation surprenantes, irrationnelles, incompréhensibles. Plutôt que de rester sonnés dans les cordes et de jeter l’éponge, ils tiennent tête et, tel un torero, font abstraction de la force brute qui leur fait face pour entrer dans une danse qui finira par étourdir et venir à bout de leur adversaire.
Inconscience ? Courage ? Optimisme forcené ? Au minimum l’audace qu’admirait Marc Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ».
Restent alors trois manières de déjouer les apparences :
- L’éclair de génie. Comme pour David face à Goliath, la finesse et la ruse font parfois des miracles. Une voie improbable, à réserver aux négociateurs de légende (peu avares d’anecdotes savoureuses).
- L’énergie du désespoir. Comme l’analyse très justement Laurent Combalbert, lorsque les sentiments d’impuissance ou d’injustice prennent le dessus, les dérapages se multiplient. En faisant fi des évidences, on ose tout, dans un monde parallèle, propice aux bravades suicidaires. A voir certains dirigeants politiques improbables ou entrepreneurs fantasques à succès, ça paye !
- La détermination, façon Oscar Barenton : « Pensez toujours que l’homme avec qui vous discutez est plus intelligent que vous, mais qu’il a moins de volonté ». Affirmée avec aplomb, une volonté claire pourra emporter l’adhésion comme un judoka son adversaire de taille.
Les négociations qui nous posent problème, à l’instar de celles que nous retravaillons lors des ateliers de formation, butent invariablement sur le rapport de force défavorable : trop petit, trop gros, trop prévisible, trop spécial, trop riche, trop risqué… Pourtant, à bien y réfléchir, les situations extrêmes actuelles ne sont pas si exceptionnelles que cela sur le fond.
Car par nature, une négociation est toujours asymétrique. Mais dans les deux sens !