En ce début d’année, chacun s’attèle à son bilan de l’année 2011. Il me revient cet échange lors du forum de la logistique EPFL-GS1 à Lausanne : “Dans quelle mesure le portefeuille fournisseurs constitue un actif de l’entreprise ?” La question elle-même est probablement une expression de plus du besoin de reconnaissance de la fonction achats et de sa contribution à la création de valeur. Elle n’en est pas moins légitime : dans quelle mesure peut-on valoriser le goodwill d’un portefeuille achats ?
L’appréciation des actifs immatériels regroupés dans le bilan sous le terme “goodwill” est éminemment subjective. On y intègre classiquement tout le potentiel d’une entreprise : la clientèle, les marques, les compétences, le savoir-faire, la capacité d’innovation, etc. Conséquence de nos efforts constants d’externalisation – vitaux pour l’entreprise – une bonne partie de ce potentiel est dans les mains de nos fournisseurs.
C’est particulièrement vrai pour l’innovation : tout ou presque se passe hors de nos murs. Mais sommes-nous bien certains que la capacité R&D de nos fournisseurs travaille pour nous ? Aurons-nous la primeur et l’exclusivité de leurs innovations ? Dans ce domaine, c’est la qualité de notre fonction Achats qui fera toute la différence.
Pour les compétences techniques et le savoir-faire, c’est plus complexe. Premièrement, comment être sûrs d’avoir le meilleur fournisseur du marché en face de chacun de nos besoins ? Nous y travaillons au quotidien, mais rien n’est acquis. Un fournisseur peut même représenter un passif s’il est mauvais. Quant à savoir dans quelle mesure nous sommes mieux traités que nos concurrents, pas si simple… A nouveau, la qualité de la fonction Achats est déterminante.
Deuxièmement, si l’acheteur fait bien son travail, nos fournisseurs s’occupent de tout sauf de notre cœur de métier. En suivant l’approche de Jay Barney (1991), nous conservons en interne ce qui est non substituable, non imitable, rare et source de valeur. Les fournisseurs ont donc vocation à nous décharger de fonctions ou de productions à faible valeur ajoutée, standards voire banales, matures ou en voie d’obsolescence… bref, nos fournisseurs seraient plutôt un passif qu’un actif, non ? Pas tout à fait : d’une part, nos fournisseurs sont – on l’espère – les meilleurs dans leur spécialité et font évoluer leur offre en innovant (cf points précédents); d’autre part, même si ce n’était pas le cas, c’est une grande valeur pour une entreprise que d’être allégée de ses fonctions sur-matures, et de pouvoir en changer demain sans conflit social. Sans compter les ressources financières dégagées, et la capacité d’investissement correspondante. Une fois de plus, tout dépend de l’efficacité des Achats.
La clientèle et les marques de nos fournisseurs sont-elles un actif pour nous ? Dans la mesure où nous avons une exclusivité, assurément. Dans ce cas, cela se traduit à l’aval en un potentiel commercial. Faudrait-il le compter deux fois, à l’amont et à l’aval ? Qui plus est, notre dépendance envers ce fournisseurs n’est-elle pas aussi un passif ?
Reste un élément du goodwill indéniable côté amont de l’entreprise : la qualité de nos relations avec nos fournisseurs. Plus encore que ce qu’ils ont dans les mains, c’est notre capacité à l’obtenir qui est en jeu. Cette fois encore, nos compétences Achats sont déterminantes (savoir-faire, intelligence émotionnelle, capacité de management et de négociation).
A mon sens, le portefeuille fournisseurs ne constitue pas en soi une contribution au goodwill de l’entreprise. Le véritable actif, ce sont nos acheteurs, leur savoir-faire, leurs compétences, leur innovation. Et pour ceux qui sont en manque de reconnaissance interne, je citerai ce mot d’un proche administrateur serial entrepreneur : “Peu d’investissements de l’Entreprise paient aussi vite que ceux que vous pouvez faire sur les Achats. Les analystes le savent !”
Bien sûr le groupe des fournisseurs très bien qualifiés constitue un actif de l’entreprise car il existe beaucoup des critères qui influencent la bonne production a temps.
Nancy Ahmed
Merci pour cet article de fond qui donne un éclairage intéressant; je rebondis sur cette notion de goodwill tout d’abord pour citer les travaux que mène Alan Fustec sur ce sujet depuis plusieurs années (cf son ouvrage valoriser le capital immatériel de l’entreprise) et ses cours à HEC où il présente son modèle de valorisation du capital fournisseurs
Je ne partage pas votre avis sur le capital “acheteurs” et je pense qu’il ne faut pas trop tirer la couverture sur les Achats.
C’est la relation à long terme avec quelques fournisseurs clés qui vient enrichir le capital immatériel de l’entreprise; les acheteurs en sont les facilitateurs mais rare ceux qui ont le temps de construire sur la durée !
Alain Alleaume
Merci Alain,
Je reconnais que je prêche pour ma paroisse. Il faut bien sûr entendre la fonction Achats au sens large (mais je ne voulais pas ici ouvrir le débat de savoir si la supply chain fait partie des achats ou l’inverse…) Le propos était avant tout de mettre en lumière que le goodwill “amont” était interne (son capital humain) et non externe (ses fournisseurs). En un mot, on a les fournisseurs que l’on mérite !
Et quand un fournisseur disparaît, il disparaît aussi pour mon concurrent. Une fois de plus, c’est la qualité de nos équipes (anticipation, souplesse, réactivité, etc.) qui fera la différence.
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