Etes-vous prêts pour la crise de l’abondance ?

A l’heure des crises en série qui s’enchaînent et se chevauchent, voici une invitation à dé-zoomer,  pour appréhender ce que François-Xavier Oliveau décryptait en 2021 dans son essai :  “la crise de l’abondance“.

L’ouvrage s’ouvre sur cette prédiction de John Maynard Keynes en 1930 : “Le problème économique peut être résolu, ou sa solution peut au moins être en vue, d’ici à cent ans. […] Toutefois il n’est point de pays ni de nation qui puisse, je pense, voir venir l’âge de l’abondance et de l’oisiveté sans craindre. Car nous avons été entraînés pendant trop longtemps à faire effort et non à jouir.” Cent ans plus tard, nous y sommes, et l’abondance est bien là. Une triple abondance qui nécessite d’adapter notre grille de lecture économique.

L’abondance des ressources

En sortant l’humanité de la misère, notre économie est passée en quelques décennies de la rareté au “trop”, de la subsistance à l’obésité, de mourir de froid à crever de chaud  : trop de sucre, trop de CO2, trop de déchets, trop de production.

L’abondance de l’argent

De monnaies physiques en métaux rares, limitées en quantité, nous sommes passés à des liquidités toujours plus dématérialisées et virtuelles, tellement infinies que les marchés financiers ou immobiliers ne savent plus comment les absorber. Trop de dette, trop de monnaie, trop de cryptos.

L’abondance de l’homme

Au cours d’une vie, l’homme travaille de moins en moins : congés, études, retraite et autres font baisser régulièrement la moyenne (qui n’était déjà qu’à 17 heures par semaine en 2010 en France selon l’INSEE). L’efficacité du travail, démultipliée par les machines, les robots et les intelligences artificielles qui ne dorment jamais, libère un temps toujours plus grand dont on ne sait plus que faire. Trop d’inactifs, trop d’oisiveté, trop de temps d’écran.

Une abondance source de crises

Cette triple abondance n’exclut pas les inégalités. Elle a même tendance à les exacerber. Quand il y a juste de quoi survivre, chacun reçoit le minimum vital. Quand il y a trop, les mieux placés sont en mesure de concentrer le surplus dans leurs mains, de manière disproportionnée. Les moyens pharaoniques investis dans les IA en sont une des manifestations. Ainsi, les “pénuries” des dernières années ne sont pas tant dues à un épuisement des ressources qu’à une surcapacité à consommer d’une minorité.

Plus largement, les crises que nous affrontons découlent de cette triple abondance. “Faute de mieux utiliser les ressources, nous risquons de détruire notre planète. Faute de maîtriser la création de l’argent, nous risquons de continuer à déstabiliser l’économie et la société. Faute de comprendre la crise du travail, nous risquons de faire basculer une frange entière de la population dans le déclassement et la révolte. Nos problèmes de riches sont à deux doigts de nous tuer.”

Remis en perpective, ce que nous appelons crise aujourd’hui est d’une ampleur et d’une durée de plus en plus faible, quoiqu’on en dise. La crise des subprimes de 2008 n’aura été qu’un soubresaut comparée à la crise de 1929. A l’aune de la peste noire ou de la grippe espagnole, le Covid-19 qui a mis le monde à l’arrêt fut un épisode sanitaire presque insignifiant. Rétrospectivement, certains le considèrent même comme un accélérateur des progrès médicaux et une opportunité pour l’économie qui a dû se réinventer. La résilience est là. Le monde va de l’avant, et les crises sont vite oubliées.

Les symptômes de l’abondance : baisse des prix et surconsommation

Emblématiques de la baisse des prix, les panneaux photovoltaïques ou le transport spatial pour ne citer que ceux-là, voient leur coûts baisser toujours plus à un rythme vertigineux. Le budget de la Nasa n’a pas baissé pour autant, bien au contraire ! Par effet rebond, l’abondance induit la surconsommation.

Avec la dématérialisation toujours plus forte de l’économie, les productions sont de plus en plus intenses en coûts fixes. Nous tendons vers une économie à coût marginal quasi nul, où chaque augmentation de volume fait baisser le coût unitaire. La hausse de la consommation nourrit à son tour la baisse des prix.

Conséquences pour les acheteurs

Parmi toutes les conséquences de cette évolution profonde et inexorable de nos économies, trois me semblent mériter notre attention à court terme.

  • La première est la rapidité avec laquelle l’humanité digère les crises. Evitons de céder aux sirènes des prophètes de malheur qui prédisent toutes sortes de pénuries. Voyez comment l’OPEP doit redoubler d’efforts en limitant son offre pour espérer maintenir ses prix… La peur de manquer est mauvaise conseillère.
  • La deuxième est la généralisation des offres commerciales “as-a-service”, poudre aux yeux pour masquer la baisse des coûts unitaires. Quand les coûts fixes deviennent prépondérants et les coûts marginaux tendent vers zéro, les politiques de prix sont de plus en plus arbitraires. La location devient la solution par défaut. A nous de contrer ces pratiques par l’analyse “rent or buy” : une mine d’opportunités.
  • La troisième, au vu de ces baisses de coûts endémiques, est le besoin de renforcer nos équipes d’acheteurs. Quand les prix montent, les hausses viennent à nous toutes seules… Quand ils baissent, les vendeurs essaient de se faire oublier, et il faut leur courir après sans relâche. Plus que jamais, le monde de demain a besoin d’acheteurs !
 
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