« Entre gens qui ne savent pas écrire, les affaires s’arrangent avec logique et bonne foi. Les contrats écrits servent seulement à donner matière à discussion sur ces obscurités du texte où sommeille toujours le germe impérissable de la mauvaise foi. » Cette observation de Henry de Monfreid n’a pas pris une ride en 80 ans !
Combien de nos fournisseurs aujourd’hui encore se rembrunissent à l’évocation d’une possible contractualisation : « Vous n’avez pas confiance ? ». Combien d’acheteurs tremblent de voir leur propre scribouillard de service dénaturer une relation de confiance patiemment tissée. Combien de juristes, paralysés par la peur, se réfugient dans un langage intentionnellement abscons ? Ou simplement trop aride pour permettre ne serait-ce qu’une compréhension identique du texte par les deux parties…
Pour autant, les relations informelles tendent à disparaître, et c’est une bonne chose. Certes, lorsque le juriste entre dans la danse, le risque est grand de semer cette mauvaise graine, d’instiller le doute dès lors que l’on commence à envisager le pire, à parler de potentielles entorses, de défaillances. Les partenaires sont alors comme ces fiancés incrédules face au notaire qui leur parle de divorce, à l’heure où l’enthousiasme des préparatifs du mariage a effacé toutes les aspérités du chemin qui s’ouvre devant eux.
Pour être menée à bien, la contractualisation requiert cet état d’esprit bien particulier de l’avocat, cette capacité à imaginer le pire, à hypertrophier l’aversion au risque, quitte à stériliser en partie les bonnes volontés, à doucher les enthousiasmes.
C’est pourquoi l’acheteur, aussi bon soit-il, ne pourra jamais efficacement être son propre juriste. Au contraire, il lui faudra cultiver cette capacité à brusquer le juriste trop prudent, à forcer la main qui tient la plume, à oser et prendre des risques, à ne pas perdre sa foi dans le partenaire avec qui l’entreprise fera un bout de chemin… ou sa vie.
En un mot, de ne pas vendre au diable son âme d’entrepreneur.