Depuis que l’on professionnalise notre métier, et singulièrement ces dernières années, l’évidence s’impose : la vocation de l’acheteur dépasse l’art d’alimenter efficacement nos entreprises. De plus en plus, on compte sur lui pour identifier, attirer et capter l’immense potentiel d’innovation fournisseur. Mais pour ce serviteur de l’ombre, la « création de valeur » est un terrain de jeu périlleux.
A la fois interlocuteur privilégié de nos partenaires et infatigable dénicheur d’opportunités, l’acheteur est bien armé pour cette mission. Pour peu qu’il se sente à l’étroit dans son rôle de pingre jamais satisfait, l’idée de devenir un révélateur de talents lui fera facilement briller les yeux. Jusqu’à risquer de succomber à l’orgueil…
Acheter un chat dans un sac
Car dans ce domaine, l’acheteur va devoir opérer contre sa nature. Aller chercher l’innovation, c’est d’abord l’inconfortable responsabilité d’acheter un chat dans un sac. Prendre un pari sur une valeur hypothétique nous fait sortir du cadre de référence. Dès lors, quand les verrous et repères classiques sautent, il n’y a alors plus aucune limite. La flamme de l’enthousiasme peut nous emmener très loin. Trop loin.
Pour sortir du cadre dans de bonnes conditions, il est nécessaire de soigneusement préparer sa feuille de route. Skier hors piste ne signifie pas que l’on ne sait pas où l’on va, bien au contraire ! Ce binôme pour innover, c’est l’association d’un fournisseur créatif et d’un acheteur visionnaire, apte à canaliser cette énergie pour contribuer à son projet.
Un projet à part
Il est parfois plus sage d’élargir le cadre plutôt que de le pulvériser. Une alternative consiste à isoler la démarche de co-innovation dans un espace dédié et maîtrisé, à l’instar des « sandbox », ces bacs à sable des informaticiens pour circonscrire les cyber-risques.
La question du prix pour accéder à l’innovation est des plus délicates. Combien serons-nous prêts à payer ? Jusqu’où financerons-nous cette folle exploration ? En l’absence de quantités, l’analyse de coûts atteint le summum de l’arbitraire. Et c’est précisément là où se révèle le talent de l’acheteur. Celui-ci fera un chèque en blanc pour s’assurer de l’exclusivité et accélérer les investissements de son poulain en mode « open bar ». Cet autre acheteur, qui n’attache pas son chien avec des saucisses, proposera joyeusement de « partager le risque » en liant leurs destins d’aventuriers sans le sou, laissant au partenaire le soin de se trouver un business angel…
Rien de tel qu’un entrepreneur pionnier en mode survie pour attirer l’innovateur qui, en risquant sa peau à chaque instant, se nourrira de rêves et d’eau fraîche. Le champagne et les paillettes viendront en leur temps !