IA : le jeu acheteur-vendeur en version augmentée

Chaque jour apporte son lot de solutions miracles. L’intelligence artificielle, ça change la vie ! Dans ce foisonnement des outils, bien malin qui pourra prédire ceux qui s’installeront durablement et tiendront leurs promesses dans le temps. Peu importe…

Oublions un instant les solutions, pour en observer les conséquences. Les effets visibles de ces nouveaux moyens impactent déjà très concrètement notre métier d’acheteur, en dopant nos capacités certes, mais surtout en transformant notre environnement. Car cette fois encore, les vendeurs ont quelques longueurs d’avance sur nous.

Le plus visible : l’expression écrite

Les outils les plus installés dans le paysage sont ceux liés au langage. Orthographe, syntaxe, traductions dans un premier temps, puis style littéraire, capacités d’analyse et de synthèse, aisance dans les langues étrangères. La qualité de l’expression est en hausse indéniable.

En première ligne, le domaine de la formation est bouleversé. Les capacités augmentées des étudiants n’en finissent plus de bluffer les enseignants. Difficile aujourd’hui pour un examinateur de juger de l’authenticité d’un travail écrit ; de distinguer l’excellence dans des productions nivelées par le haut. De même pour un recruteur, faire un tri dans des candidatures toujours plus pertinentes et ajustées relève du tour de force. En réponse, l’automatisation de la sélection apporte son lot d’effets pervers.

Aux achats aussi, les offres commerciales que nous recevons sont de mieux en mieux ciblées, ajustées, élaborées. Les fournisseurs les plus exotiques acquièrent une remarquable capacité à communiquer et à comprendre qui ferait presque oublier le fossé géographique et culturel qui nous sépare.

Car dans ce jeu de dupes, les apparences sont de plus en plus trompeuses. Car la performance sous-jacente s’érode sous l’effet irrésistible de la flemme. La solution par défaut, à portée de clic, ruine le sens de l’effort. La déception n’est que plus grande lorsque l’on repasse à l’oral ou au manuscrit. Les masques tombent, parfois trop tard…

Le plus réjouissant : le fond progresse significativement.

Pour les deux parties, l’IA est une ressource de plus en plus qualitative. Le jeu commercial s’en trouve enrichi. C’est particulièrement flagrant dans le domaine juridique, où les conseils jusqu’ici inaccessibles à beaucoup deviennent enfin abordables et intelligibles. La peur ou la défiance vis-à-vis de contrats abscons s’en trouve nettement atténuée. Avec une meilleure compréhension des enjeux de part et d’autre, et des revues de contrat facilitées, les discussions peuvent se concentrer sur l’essentiel. Chacun étant mieux armé, les approches conflictuelles ou abusives deviennent moins tentantes.

Pour les échanges précontractuels également, la facilitation du partage d’information, d’alignement des offres, d’étude de marché ou d’analyse stratégique promettent d’améliorer le résultat attendu, à savoir la bonne adéquation de l’offre et de la demande. Que demander de plus ?

Le plus vertigineux : un déluge quantitatif qui noie le monde analogique.

Toujours plus ! Le saut quantatif que nous vivons est du même ordre que le saut précédent du courrier papier au courrier électronique. Un monde de l’immédiat, dématérialisé, saturant les canaux de communication.

Avec une productivité décuplée, la génération d’informations sous toutes les formes et sans limite génère une avalanche de contenus. Les sources originales se diluent dans une immensité dont la véracité pose toujours plus question. L’incertitude et le doute permanent deviennent la norme. Même les IA y perdent leur latin…

Autre corollaire de ce déluge d’informations, il devient de plus en plus difficile d’ignorer ce qui se passe à toute heure et en tout lieu. Le devoir de vigilance prend une autre dimension quand il s’appuie sur des IA qui ne dorment jamais. Et qui n’oublient pas !

Si c’est gratuit, c’est toi le produit…

En arrière plan de ces évolutions se pose la question du socle économique de tous les investissements qu’elles mobilisent. A ce stade, les modèles d’affaires ne sont pas encore pérennisés, et ont toutes les chances d’évoluer. Etonnament, Open AI révélait en octobre dernier que les trois quarts de ses revenus proviennent des abonnements des consommateurs. Mais combien de temps encore les particuliers seront-ils prêts à payer pour des services qui se livrent une concurrence féroce ?

De manière remarquable, le déploiement des intelligences artificielles suit les traces de l’émergence du Web en son temps, en sacrifiant sa neutralité. Dans les deux cas, l’idéal originel de diffusion du savoir dans un cadre ouvert et non lucratif a attiré rapidement les convoitises. Comme pour Internet, il est à parier que sous peu les budgets marketing et la publicité financeront des outils IA tous plus “gratuits” les uns que les autres.

Car les vendeurs l’ont déjà bien compris. Les plus avides d’IA, ce sont les ventes et le marketing. La puissance de captation commerciale offerte par ces outils leur fait briller les yeux. Ils en veulent tous ! Et puisqu’ils sont prêt à y consacrer des moyens, l’IA dédiée aux ventes se développe sans commune mesure avec l’offre pour les acheteurs, presque anecdotique en comparaison.

Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les acheteurs, déjà en infériorité numérique comparés aux vendeurs. Le rapport de force, et notamment l’asymétrie d’information au profit des commerciaux, risque bien d’être décuplé. S’il fallait encore s’en convaincre, prenez le cas des agents IA : jusqu’où seriez-vous prêts à laisser votre agent acheteur opérer seul face à un agent de vente ?

 
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