Dans un monde idéal, les ampoules n’auraient jamais besoin d’être changées, les chaudières ne tomberaient jamais en panne et les pièces de rechange seraient inutiles. Après tout, les pneus ne pourraient-ils pas être dimensionnés pour durer aussi longtemps que le véhicule qu’ils chaussent ?
Dans les faits, maintenir en état nos équipements est loin d’être anecdotique. Qui plus est, compte tenu de sa criticité, la continuité des opérations passe avant le coût, dérisoire au regard des enjeux de perte d’exploitation. Alors, quand arrive la facture, difficile de ne pas soupçonner des prix de pièces exorbitants et un décompte d’heures généreusement arrondi. Et d’éprouver cette désagréable sensation d’être une vache à lait dans les pattes d’un marchand de canon, qui a bradé la machine pour mieux vendre les munitions ensuite.
Ne lui jetons pas trop vite la pierre : le métier des pièces de rechange et de la maintenance opérationnelle est rarement profitable. Plutôt un mal nécessaire, un service qu’il se doit d’offrir, une activité marginale et coûteuse, pour un service jamais assez réactif dans notre monde d’immédiateté. Qui ne rêverait pas de pouvoir livrer sans avoir à se préoccuper de l’après-vente ?
La frustration du fournisseur est également palpable quand son matériel est utilisé en dépit du bon sens, de manière sous-optimale, sans exploiter pleinement ses potentialités, ou quand le minimum de maintenance préventive fait défaut.
Il me semble que l’on gagnerait à le responsabiliser pleinement, en le laissant faire son métier jusqu’au bout. Pensez-vous que le cartel Phoebus aurat continué à limiter la durée de vie des ampoules si les clients ne payaient non pas pour les ampoules, mais pour une prestation d’éclairage avec un taux de service garanti ? Les fabricants de pneumatiques n’ont-ils pas fait évoluer leurs spécifications quand ils ont commencé à vendre du pneu au kilomètre parcouru plutôt qu’à l’unité ?
Il n’y a pas si longtemps, tout propriétaire de voiture avait dans l’habitacle une boîte d’ampoules et de fusibles de rechange, voire un jeu de bougies et un bidon d’huile pour refaire les niveaux au besoin. Aujourd’hui, quel conducteur ouvre encore lui-même le capot ? De même, aux débuts de l’informatique, utiliser un logiciel allait de pair avec un minimum de connaissances pour corriger une ligne de son code ou nettoyer sa base de données.
De plus en plus, le capot abrite une mécanique indéchiffrable pour l’utilisateur. Bientôt, il ne s’ouvrira même plus. L’équipement devient un service, dont on attend une fiabilité totale. Le passager d’un véhicule autonome peut ainsi bénéficier d’un moyen de transport toujours opérationnel, sans se soucier de l’état d’usure des pneus. En être propriétaire serait même une aberration. Adieu les factures toujours trop salées du garagiste…
L’un après l’autre, nos matériels et bâtiments finiront par suivre la voie de la fiabilité totale ouverte par l’informatique et l’automobile pour devenir eux aussi des services. Vive la facilité !
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