Pourquoi si peu d’ententes d’acheteurs ? (1/3)

Blog achats, par des acheteurs, pour les acheteurs professionnelsLorsque je lance le sujet des ententes lors d’une formation, la réaction est toujours à peu près la même. Après les (brèves) protestations d’usage : “C’est interdit”, “Pas chez nous”, “Jamais entendu parler”, les langues se délient et l’on fait systématiquement le même constat : alors que les ententes de vendeurs sont omniprésentes et efficaces, les ententes d’acheteurs sont rarissimes, poussives et les quelques tentatives que l’on voit fleurir chaque printemps passent rarement l’hiver. Pourquoi les acheteurs n’y arrivent-ils pas ? Sont-ils moins intelligents que les vendeurs ?

Dans la nature règne depuis toujours et à tous niveaux une compétition parfaite entre espèces et entre individus. Pour autant, on y observe des comportements collaboratifs efficaces : l’union fait la force. Le lion attaquera la gazelle isolée, mais se tiendra prudemment à l’écart du troupeau.  Dans le monde des affaires, même combat !

Mais pourquoi les ententes sont-elles si rares côté achats ? Suis-je un acheteur trop naïf ? aveugle ? Il doit bien y avoir une raison.

C’est dans les gènes !

  • Caractère. Par nature, le vendeur a une facilité à se lier. Le métier lui-même consiste à séduire, à créer du lien. La fonction attire naturellement des personnages chaleureux, exubérants, enthousiastes, bavards. Cet esprit de camaraderie y est peut-être pour quelque chose… Discrets, circonspects, méfiants voire froids, les acheteurs n’ont pas les mêmes atouts.
  • Mobilité. Pour un vendeur, passer quelques jours à la maison mère est presque une punition. Il a la bougeotte, en permanence sur la route. Inévitablement, cela crée des occasions de se rencontrer. L’acheteur est plus casanier. Il joue à domicile.  Plus encore, il lui arrive de marquer contre son camp en convoquant le vendeur et son concurrent le même jour !
  • Supériorité numérique. Statistiquement, on compte dans nos entreprises 10 vendeurs pour 1 acheteur. En étant dix fois plus nombreux, les vendeurs centuplent leurs chances de se rencontrer.
  • Concentration des acteurs. A la vente, il n’est pas rare de voir deux ou trois grands acteurs se partager un marché. Cause ou conséquence ? Le fait est : les oligopoles de vendeurs sont légion. A l’achat, c’est tout le contraire ! Rares sont les cas ou un oligopole d’acheteurs peuvent unir leurs forces. “Vous comprenez, chez nous, c’est spécial…” Un vendeur ne vous contredira jamais sur ce point. Diviser pour mieux régner… Une exception notable : la grande distribution. J’y reviendrai.

Les vendeurs ont donc des prédispositions favorables, mais qu’ont-ils à y gagner ? A première vue, c’est contre-intuitif. La loi de la jungle censée régner sur le marché devrait aboutir à une lutte sans merci. Que le plus fort gagne ! Peut-être faut-il y regarder de plus près… Nos amis les vendeurs, sont-ils des prédateurs ou des proies ? Comme dans le jeu amoureux, celui qui chasse n’est pas toujours celui que l’on croit ! En évoluant en groupe, les vendeurs limitent leurs chances de se faire dévorer. Sous cet angle, la célèbre formule de Dwayne Andreas, chairman d’ADM (cartel de la lysine) prend tout son sens : « The competitor is our friend and the customer is our enemy. ».

Entre vendeurs, l’intérêt commun est évident : le bénéfice d’une alliance est objectif et a été largement étudié (théorie des jeux, dilemme du Prisonnier). Benéfice sur les prix : 25% de plus en moyenne. Bénéfice également en terme de gestion de la qualité (cf cartel de Phoebus). Bénéfice enfin en cas de pénurie, qu’elle soit subie ou organisée ;).

Il y a également des raisons historiques : la production a longtemps été organisée en corporations (Europe) ou en cartels (USA) avec la bénédiction de l’état. Le regroupement des moyens de production et le partage des savoir-faire était une réponse à des ressources limitées. (Il est symptomatique que les corporations, privilèges supprimés par la Révolution Française, aient été rétablies… par le régime de Vichy pour soutenir l’effort de guerre !). Quand on a gouté à la prospérité organisée, difficile d’y renoncer !

Et pour les acheteurs ?

Peut-on entre acheteurs rechercher la prospérité de l’ensemble ? “Unissons-nous pour faire baisser les prix pour tout le monde. C’est bon pour la marge de nos entreprises.” Vraiment ? Ça ne peut marcher que s’il y a aussi une entente à l’aval, entre vendeurs… (au passage, les ententes à l’achat condamnées ou combattues par les autorités de la concurrence sont systématiquement liées à une  entente aval à la vente).

Par nature, l’acheteur veut toujours plus, toujours mieux. Mieux que la dernière fois ? Non ! Mieux que les autres. Il est fondamentalement jaloux des autres acheteurs.

“Chez nous, y’a pas à discuter, c’est tarif unique pour tout le monde.” Quelle frustration que de n’être qu’un client lambda ! Et quelle jouissance d’obtenir ce petit plus, cet avantage qui fait de moi un privilégié…

Pour faire cette différence, j’ai besoin d’un allié, d’un complice. Si je veux les morceaux de choix, il faudra bien qu’un autre client soit moins bien servi, non? Pour gagner, il faut donc s’allier… avec le vendeur.

(à suivre) Pourtant, il y a bien des cas où les ententes d’acheteurs sont utiles et efficaces !

 
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Une réponse à Pourquoi si peu d’ententes d’acheteurs ? (1/3)

  1. Visiteur dit :

    Désolé de vous contredire, mais rien n’empêche du point de vue légal une entente pour achat groupé par des acheteurs, pour le secteur pharma, nous essayons de nous réunir une fois par an, sujet traité, cas particulier, nous évitons de parler des produits stratégiques des différentes entreprises, ceci nous as permis de casser trois cartels en trouvant des solutions innovantes, ainsi que des économies d’échelle sur tout ce qui touche le facility management et une partie de ce qui n’est pas notre core business. les vendeurs se méfient des groupements d’acheteurs et hésitent à les attaquer, comme vous le dites si bien, en troupeau les risques sont minimisés.
    Jean Paul Gobin

     

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